samedi 15 novembre 2008

Le parano show du zapping


Je suis tombée sur cet article publié sur krinein.com en consultant la page Facebook dédiée au Zapping de Canal+.

Trouvant cette critique plutôt juste sur la bombe à retardement que peut constituer un assemblage d'images et de paroles aussi forts en contenu et en sens accentué par l'absence totale de commentaires.

Je vous laisse méditer sur le poids des mots ( et de leur absence) et du choc des photos...


Critique par iscarioth - le 17/01/2007

Le droit de ci­ta­tion : un prin­cipe du droit fran­çais sur le­quel re­pose le Zap­ping de Canal Plus. Pour don­ner une brève ex­pli­ca­tion, chaque oeuvre au­dio­vi­suelle dif­fu­sée à la té­lé­vi­sion est pro­té­gé par le droit d'au­teur. On ne peut pas re­pro­duire ces oeuvres sans l'au­to­ri­sa­tion des ti­tu­laires des droits d'au­teur. Seule­ment, il existe des ex­cep­tions à cela, dont une ex­cep­tion ap­pe­lée « le droit de courte ci­ta­tion ». Citer une oeuvre pen­dant une courte durée est au­to­ri­sé, sur­tout si l'oeuvre pro­duite en­suite revêt un ca­rac­tère pé­da­go­gique ou in­for­ma­tion­nel.


Pé­da­go­gique et in­for­ma­tion­nel, le Zap­ping ? Ca se dis­cute. Sur le pre­mier point, en tout cas, on est d'ac­cord : le pro­gramme in­ves­tit la courte ci­ta­tion. Sur un peu moins de cinq mi­nutes de Zap­ping quo­ti­dien, en­vi­ron vingt « zaps ». Ce qui nous donne une moyenne de quinze se­condes par sé­quence ex­traite. Une fur­ti­vi­té qui pose plu­sieurs pro­blèmes. Tout d'abord, un pro­blème de concen­tra­tion. Les « consom­ma­teurs » ré­gu­liers du Zap­ping s'en sont cer­tai­ne­ment ren­dus compte, sur­tout s'ils re­gardent les com­pi­la­tions à la se­maine ou à l'année, il est dif­fi­cile d'avoir conscience, à chaque mo­ment, du dé­fi­le­ment des images. Les sé­quences s'em­boîtent les unes aux autres. Sor­ties de leur contexte puis as­sem­blées, ces images gé­nèrent un sens nou­veau, un dis­cours. Si bien qu'il est par­fois ef­frayant de re­mon­ter le fil de sa pen­sée, après avoir vi­sion­né le Zap­ping. Cas concret : le Zap­ping est ter­mi­né, je me lève pour aller me cher­cher une bois­son dans la pièce d'à coté. Une phrase me vient en tête, je n'en com­prends pas for­cé­ment le sens ni la pro­ve­nance, mais elle est là, elle ré­sonne. En fai­sant l'ef­fort de sa­voir d'où m'est venue cette idée, je par­viens à re­trou­ver le fil de ma pen­sée, à dé­pis­ter quel est l'im­bri­que­ment d'images qui m'a amené à cette « conclu­sion men­tale ». Une prise de conscience qui peut ef­frayer. Les images, as­sé­nées, dé­na­tu­rées, sor­ties de leur contexte puis re­tra­vaillées par l'in­ter­mède du mon­tage gé­nèrent un dis­cours fur­tif, qui se forme clai­re­ment dans les es­prits, mais dont il est tou­te­fois dif­fi­cile d'avoir conscience et de contrô­ler.

Le Zap­ping, une grande ma­ni­pu­la­tion ? Mais com­ment est-​ce pos­sible ? L'émis­sion est la plus neutre pos­sible, la preuve en est qu'elle ne se per­met aucun com­men­taire, ne fai­sant que rap­por­ter des mo­ments vus et en­ten­dus. Oui, mais. Il n'y a pas tra­vail plus en­ga­gé et per­ni­cieux que le tra­vail de mon­tage. Toute image mon­tée est une image mise en scène et donc, une image en­ga­gée. L'en­chaî­ne­ment des images gé­nère un dis­cours. L'émis­sion ne peut re­ven­di­quer au­cune neu­tra­li­té. On peut même dé­fi­nir une to­na­li­té. Le zap­ping, s'il faut dé­fi­nir son es­prit, est po­li­tique et pes­si­miste. Po­li­tique, dans le sens où il ré­vèle les contra­dic­tions de chaque po­li­ti­cien à forte ré­so­nance mé­dia­tique. Pes­si­miste, dans le sens où le Zap­ping fait s'en­chaî­ner les constats dé­sas­treux et alar­mistes. Ré­chauf­fe­ment cli­ma­tique, frac­ture so­ciale, en­det­te­ment, guerre, ma­ni­pu­la­tions, men­songes, vio­lences... Après une heure de Zap­ping, il vous pren­dra l'envie d'aller cher­cher le noeud cou­lant et de vous pendre, tel­le­ment l'im­bé­cil­li­té hu­maine est pré­sen­tée, chaque année, comme in­cu­rable. Le pa­ra­doxe, c'est que le Zap­ping joue de ce dis­cours alar­miste. Sou­vent, l'émis­sion se fait la caisse de ré­so­nance des jour­naux té­lé­vi­sés pro­pa­geant la peur, avant de citer les pa­roles d'un so­cio­logue ou ana­lyste des mé­dias té­moi­gnant de la mé­ca­nique mé­dia­tique de la ter­reur et de la pa­ra­noïa. Le Zap­ping pro­page ce qu'il dé­nonce et dé­nonce ce qu'il pro­page. Iro­ni­que­ment, le Zap­ping 2006 a été titré : « Pa­ra­no Show ».

A la dif­fé­rence d'Arrêt sur images, qui fonc­tionne sur le même prin­cipe du droit à la courte ci­ta­tion, le Zap­ping ne laisse pas au spec­ta­teur le temps de co­gi­ter. Ce­lui-​ci est gavé comme une oie té­lé­vi­suelle d'images en tout genre. Im­pos­sible par­fois, de suivre le rythme, de se concen­trer sur la pro­ve­nance de l'image, d'an­ti­ci­per une contex­tua­li­sa­tion. On se prend tout dans la gueule, l'ex­pres­sion est ap­pro­priée. A la lec­ture de cette cri­tique, les plus conser­va­teurs d'entre nous, n'ayant pas en­core dé­cou­vert le Zap­ping par eux-​mêmes, pour­ront s'ex­cla­mer qu'il faut in­ter­dire à tout prix cette émis­sion dan­ge­reuse, par­ti­sane, qui dé­tourne les images de leur sens ori­gi­nel. Ce se­rait faire bien peu confiance aux gens. Pen­dant long­temps, la lec­ture a été consi­dé­rée comme dan­ge­reuse. L'Eglise et l'Etat avaient peur que les « mau­vaises lec­tures » ne dé­tournent les masses la­bo­rieuses du tra­vail pour les ame­ner sur les sen­tiers de la per­di­tion et de la ré­vo­lu­tion. Il fal­lait alors in­ter­dire cer­tains livres, pour pro­té­ger ces « lec­teurs éponge » qui ris­quaient de s'im­bi­ber des pires in­sa­ni­tés. Beau­coup s'ins­crivent dans le même mode de pen­sée, au­jourd'hui, face à ce que vé­hi­cule la té­lé­vi­sion. Dire que cer­tains pro­grammes télé sont dan­ge­reux au­jourd'hui, c'est un peu comme quand on pro­cla­mait, hier, que cer­tains livres étaient à pros­crire.


Le Zap­ping fait peur au­tant qu'il peut être for­ma­teur pour l'es­prit. Il s'agira pour le spec­ta­teur de prendre du recul avec ce qu'on lui montre, de se ser­vir de ce qu'il voit pour re­bon­dir sur de nou­velles ré­flexions. Là, on pour­ra consi­dé­rer le Zap­ping comme hau­te­ment pé­da­go­gique. En ré­su­mé : le Zap­ping, comme une vé­ri­té ter­ro­ri­sante, non, comme un sti­mu­lant à la ré­flexion et à la prise de recul, oui.

Aucun commentaire: